Jerome Bloch (360Crossmedia) : Luxembourg Eldorado

Après des années de croissance effrénée, le Luxembourg tourne aujourd’hui en surrégime et se retrouve à une croisée des chemins. Il reste toutefois un Eldorado pour tous les employés et les entrepreneurs d’Europe. Interview.

 

Pourquoi le Luxembourg est-il un Eldorado ?

Pour commencer, je pense qu’il faut rappeler à quel point le Luxembourg est mal compris. Je suis né à Metz et lorsque mes amis ou des membres de ma famille décrivent le Grand-Duché, ils confondent clairement avec Londres ou Zurich, ces centres financiers où des investisseurs placent des milliards, achètent, vendent et roulent en Ferrari. Le Luxembourg, aujourd’hui c’est avant tout le back-office de la finance internationale. Créé en 963 – il y a 1060 ans !- il a connu une histoire mouvementée, notamment du fait de la forme naturelle de son centre-ville qui ressemble à une forteresse. La sidérurgie et la destruction volontaire de la plupart des remparts de la ville en 1870 ont permis un premier bond en avant à la fin du XIXème siècle, qui a été suivi par un développement tous azimuts – Finance, Industrie, Institution européennes – notamment dans les années 70, sous la houlette d’hommes d’états extraordinaires comme Pierre Werner, Gaston Thorn ou Marcel Mart. Dans les années 90, les fonds d’investissements ont amorcé un développement phénoménal qui fait du Luxembourg le numéro 2 au monde dans ce domaine après les Etats-Unis. Lorsqu’une personne place ses économies dans un fond à Malaga ou à Rio de Janeiro, il est probable que le back-office soit réalisé au Grand-Duché. C’est là que réside le réacteur actuel de l’économie.

 
  

« A Paris, les gens me demandent toujours quelle école j’ai fréquentée. En 27 ans, personne ne m’a jamais posé cette question ici. »

 
Quelles sont les conséquences aujourd’hui ?
 

Pour les employés d’abord, la situation est assez surréaliste : d’une part, les Luxembourgeois rêvent souvent de travailler pour l’Etat ou leur commune afin de bénéficier de salaires élevés et garantis, ce qui réduit considérablement la concurrence pour les étrangers. Ensuite, une jeune personne ayant bien compris la réalité du pays mettra sa carrière sur orbite en optant pour des filières dans les fonds, l’audit, la finance ou le conseil où les placent sont nombreuses et bien payées. Mais la pénurie d’employés touche toutes les branches et un serveur, un cuisinier, un chef de projet ou un graphiste décrocheront également rapidement un contrat intéressant.

Au niveau des entrepreneurs, c’est encore plus intéressant car le Luxembourg est un pays « New Money ». Son développement majeur date seulement des années 70, contrairement à Paris ou Londres, des destinations « Old Money » où les relations, le piston et le patrimoine des parents joue un rôle beaucoup plus grand. Un exemple : à Paris, les gens me demandent toujours quelle école j’ai fréquentée. En 27 ans, personne ne m’a jamais posé cette question ici. Au Luxembourg, il est possible d’accéder à pratiquement n’importe qui car une ambiance « village » règne où la volonté d’avancer stimule les échanges. Nous sommes d’ailleurs face à une situation un peu étonnante où les structures étatiques sont en place pour stimuler la création d’entreprises, l’implantation d’industries, distribuer des aides, mais elles manquent de candidats, la faute sans doute à une concurrence internationale féroce et à une image mal connue en dehors de ses frontières.
 
Quels risques identifiez-vous pour l’avenir ?
 

J’en identifie clairement deux. D’abord, le risque pour les candidats frontaliers de rater une belle mise en orbite de leur carrière, simplement par ignorance. Les transports en communs sont gratuits à Luxembourg, et si les loyers sont supérieurs, le SMIC qualifié ici est à 3.009€ contre 1 747€ en France. Il est possible de se loger très bien le long des lignes de train par exemple. 2ème risque, la durabilité du modèle actuel qui me semble intenable. L’état passe sa vie à créer des emplois publics censés attirer les investissements privés, mais il oublie que la principale attractivité du pays tient à son efficacité administrative et à sa compétitivité fiscale. Ouvrir un simple restaurant aujourd’hui relève du parcours du combattant. A part la finance, la plupart des autres secteurs souffrent, ce qui n’annonce rien de très bon lors de la prochaine crise financière. Mais cela n’impacte pas vraiment les entrepreneurs, car la vraie force du Luxembourg, c’est de permettre à une start-up de développer vite son produit sur le micro marché local avant de le lancer à l’international.

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